« Il faut réinventer notre système de santé » ITW d’Yves Perrin, président de la Mutualité française Auvergne-Rhône-Alpes

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Après deux ans de gestion de la pandémie, le système de santé français est aujourd’hui au cœur du débat présidentiel. Président de la Mutualité française Auvergne-Rhône-Alpes, Yves Perrin estime une réforme en profondeur nécessaire pour faire face aux défis démographiques, numériques et environnementaux de demain.

La santé et la protection sociale sont au cœur du débat de la campagne présidentielle. Pourquoi la Mutualité française souhaite-t-elle prendre une part active dans ce débat ?

Parce que la santé, dans les sondages et les enquêtes d’opinion, constitue l’une des principales préoccupations des Français. Pour un mouvement social comme la Mutualité, qui couvre près de 36 millions de Français, il est donc normal de prendre part au débat présidentiel.

 

 La crise sanitaire liée à la Covid-19 a-t-elle changé la donne en matière de protection sociale ?

Oui. D’une part, cette crise a confirmé que le système de santé français dégageait une image très positive. Un système particulièrement résilient durant la pandémie malgré un contexte extrêmement difficile pour les personnels de santé et les accompagnants. Mais durant cette période, notre système de santé a aussi révélé ses limites avec notamment un hôpital public à bout, au bord de la crise de nerf. Voilà pourquoi nous militons pour une réforme en profondeur de ce système de santé.

 

« Si on avait fait plus de prévention durant la crise Covid, la tension aurait été moindre »

Faut-il une évolution ou une révolution santé ?

Il faut changer de paradigme. Certes, notre système de santé offre l’avantage d’un « reste à charge » le plus bas en Europe. Mais ce n’est pas suffisant. Il paraît indispensable de rééquilibrer les dépenses entre le curatif et le préventif. Aujourd’hui, plus de 95% de nos dépenses de santé sont consacrées aux soins. C’est une de nos revendications récurrentes depuis de nombreuses années.

Si on avait fait plus de prévention durant la crise Covid, la tension aurait été moindre sur notre système de santé public. De même, le poids des maladies chroniques (diabète, cancer…) dans le déficit de l’Assurance Maladie serait singulièrement réduit avec une politique préventive forte. L’allongement de la durée de vie a rendu ces maladies endémiques. Les affectations de longue durée de la Sécurité Sociale concernent plus de 10 millions de Français. Si on ne prend pas ce sujet à bras le corps, on continuera de creuser le déficit déjà abyssal de la Sécurité Sociale.

 

Justement, l’explosion des dépenses de santé durant la pandémie n’est-elle pas une bombe à retardement pour les futures générations ?

Effectivement, un récent rapport de la Cour des Comptes a confirmé qu’il faudrait dix ou quinze ans pour rembourser et revenir à l’équilibre des comptes sociaux. Ce n’est pas possible ! Sinon, on va faire peser sur les générations futures tout le poids de la dette. Il y a donc urgence à changer de système, rééquilibrer les rapports entre la Sécurité Sociale et les complémentaires santé pour que le système public puisse sortir de cette spirale infernale du déficit.

 

« L’idée de la « Grande Sécu » semble avoir du plomb dans l’aile » 

Mais c’est à l’opposé du projet de « Grande Sécu » prôné par certains candidats à l’élection présidentielle…

L’idée de créer cette « Grande Sécu » semble avoir du plomb dans l’aile. Il y a d’autres priorités dans notre pays que de faire disparaître 70% de l’activité des mutuelles et les milliers emplois associés. Nous, nous continuons de militer pour un juste équilibre entre le régime obligatoire et les complémentaires, équilibre de nature à satisfaire les Français. En d’autres termes, on ne veut pas détruire tout ce qui fait la force de la complémentaire santé et de la protection sociale depuis 1945 en France. Cela signifie une évolution mais pas une révolution, sachant que le statu quo actuel ne nous convient pas complètement et que nous sommes prêts à travailler sur un nouveau partage dans le respect de chacun.

 

Le problème, c’est que les tarifs des mutuelles ne cessent d’augmenter et les Français en ont marre de casser leur tirelire…

Sans doute n’avons-nous pas fait suffisamment de pédagogie pour expliquer cette inflation. La hausse des cotisations ne fait que suivre celle des dépenses de santé, hausse inéluctable avec l’augmentation des maladies chroniques, l’allongement de la durée de vie et le coût croissant de l’utilisation des nouvelles technologies et des nouveaux traitements. Une population âgée consomme plus de médicaments, a besoin de plus de traitements, qu’une population jeune.

 

 Mais on reproche aussi beaucoup les frais de gestion exorbitants des mutuelles qui vivraient au-dessus de leurs moyens. Cette polémique est-elle fondée ?

Là encore, on a manqué de pédagogie. Pourquoi est née cette polémique ? Parce que dans les frais de gestion figurent notamment toutes les opérations de prévention. Donc, paradoxalement, plus on fait de prévention, plus nos frais de gestion augmentent. Les mutuelles n’ont donc pas de frais de gestion pharaoniques.  Il suffit juste de rectifier l’affectation de certaines dépenses sur le plan comptable. Fin de la polémique !

 

 Y a t-il aujourd’hui un pays qui fait référence en matière de système de santé ?

Non. En matière de santé comme dans d’autres domaines, on oppose souvent l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. Certains pays optent pour une protection sociale privée avec un socle public très faible. À charge pour chacun, en fonction de ses moyens, de couvrir plus ou moins bien ses dépenses de santé. C’est globalement le modèle libéral anglo-saxon. A l’opposé, il existe des modèles étatiques, sur le modèle de la « Grande Sécu ». En France, on doit trouver le juste milieu, un modèle original, équilibré, partenarial, dans lequel on ne subit pas les orientations unilatérales de l’Etat.

 

« Déserts médicaux : un problème de santé majeur qui persiste » 

Est-il normal en 2022 de ne pouvoir avoir un médecin traitant ou un rendez-vous chez un spécialiste ?

Bien sûr que non. L’accès aux soins constitue l’un de nos grands combats. Et cela ne concerne pas que les zones rurales. En ville aussi, cette problématique est de plus en plus préoccupante. Cela signifie que l’organisation de la médecine n’est pas efficiente en France, notamment la médecine de premier recours.

 

Quelle est la solution ? Changer le numerus clausus à la sortie des facultés ? Rendre ses métiers plus attractifs ? 

Plusieurs pistes sont explorées. Effectivement, on peut envisager de moins rationner le nombre de médecins, rendre la médecine générale plus attractive, revaloriser aussi l’exercice libéral et les actes.

La jeune génération de médecins, davantage féminisée, ne souhaite plus exercer uniquement en libéral. Cette génération privilégie un exercice pluridisciplinaire, avec d’autres professionnels de santé, dans des maisons de santé par exemple ou dans des cabinets regroupés. Cette évolution sociétale doit être prise en compte pour améliorer l’accès aux soins de nos compatriotes.

 

« On réclame donc la promulgation d’une loi « grand âge et autonomie »

Le scandale Orpea n’a t-il pas terni un peu plus l’image de la santé en France, et indirectement rebuté de potentiels soignants ?

L’affaire Orpea a mis en lumière un problème non résolu, à savoir la gestion du grand âge et de la perte d’autonomie. Aujourd’hui, seulement 5% des personnes dites âgées résident en Ehpad. Certaines n’ont rien à y faire. Et 95% vivent à domicile, parfois dans des conditions indignes. On réclame donc la promulgation d’une loi « grand âge et autonomie », loi promise depuis deux mandatures mais toujours pas en vigueur.

 

Quelle serait la vocation de cette loi ?

Adapter la société au vieillissement de la population. Cela va bien au-delà de la gestion des Ehpad et l’accompagnement à domicile. Cela passe par l’habitat inclusif, une nouvelle conception des villes aussi. Il faudra mobiliser neuf milliards d’euros. Mais si on n’investit pas aujourd’hui, on viendra se fracasser demain dans le mur du grand âge.

 

Quels sont les grands défis qui attendent la Mutualité française dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ?

Outre le fait de mettre en œuvre toutes ces actions nationales au niveau régional, on va engager des actions fortes en matière de promotion et de prévention de la santé, en lien avec l’ARS (Ndlr : Agence Régionale de Santé) et d’autres structures. Nous avons aussi plus de cent mandats de représentation, que ce soit dans la sphère de la Sécurité Sociale, l’ARS, le CESER… où nous portons la voix de la Mutualité et ses projets.

 

La Mutualité française est aussi associée à l’ouverture ou le développement de certains établissements de santé, comme le Médipôle à Lyon. D’autres projets sont-ils en gestation dans ce domaine ?

Effectivement. Outre le fait de fédérer la plupart des complémentaires santé, la Mutualité Française a aussi pour vocation de développer ses propres réseaux de soins. C’est une manière de démontrer, de manière concrète, sur le terrain, la pertinence de nos propositions et de notre vision de la santé. Nous allons par exemple ouvrir une deuxième Cité des Aînés, à Valence, après celle inaugurée à Saint-Etienne. Par ailleurs, presque tous les mois, un nouvel établissement mutualiste s’ouvre.

On vient ainsi de créer un autre centre dentaire à Chambéry, ainsi que des crèches. Quant au Médipôle de Lyon, il continue de s’agrandir avec de nouveaux services. Enfin, nous allons poursuivre l’expérimentation du Dispositif Renforcé d’Aide à Domicile (DRAD), un pilotage pour coordonner l’action de différentes structures autour de la personne âgée en perte d’autonomie. C’est un modèle. Nous espérons qu’il deviendra bientôt une référence.

Article rédigé par Pascal Auclair, Ma santé en Auvergne-Rhône-Alpes